Témoignages

« J’ai découvert l’importance de la relation aux autres »

"J'ai découvert l'importance de la relation aux autres"

Jean-Charles Gonzalez, 43 ans, chantre, sacristain et grand-clerc

Comment avez-vous vécu ce temps de confinement ?

En Suisse, en comparaison des pays comme l’Espagne ou l’Italie, ou des mesures très coercitives furent mises en place, j’estime que nous avons vécu un semi-confinement. Notre confinement « à la Suisse » m’a permis de me centrer davantage sur moi-même. Je passe en général beaucoup de temps à l’intérieur: maison, bibliothèque, salles de cours, salles de réunions, magasins, églises, salle de sport, train, voiture… Je vis, volontairement, dans une sorte de « confinement » perpétuel que par ailleurs j’apprécie beaucoup.

Bénéficiant d’un logement avec vue, chaque matin fut pour moi source d’émerveillement et de gratitude pour une création qui s’était mise en chemin vers l’épanouissement estival. Une création toutefois marquée pour les uns par une renaissance (la nature, par exemple) par la maladie, voire la mort rapportée chaque jour aux informations. Au fil des jours, je pris conscience de la fragilité qui « frappe » ladite création, ainsi que du fait que la mort vaque à son œuvre dans la vie, et dans notre cas, par l’intermédiaire d’un allié baptisé : Covid-19, mais pas uniquement. J’étais aussi triste de voir les lieux habituellement fréquentés par une gaillarde humanité (rues, places, églises, trains, etc.) dépeuplée, du moins aux heures les plus « critiques » de la pandémie. 

Ce fut l’occasion d’un recentrement sur moi. Je suis ici et maintenant. Qu’elles sont les choses importantes et centrales pour moi ? Vais-je garder mon rythme de vie (levé, prières, repas, courtes sorties, sport…) pendant ce temps, ou celui-ci va-t-il s’effondrer ? Que dois-je garder et que dois-je lâcher ou réorienter (temps devant internet, grignotage entre les repas, charité envers les autres physiquement ou via les moyens de communication sociaux) ? Comment aussi être présent aux autres lors de brèves rencontres ou encore par téléphone, face à des gens qui ont besoin de parler, qui posent des questions sur l’avenir ? Comment organiser la célébration du sacrement du pardon et de la communion pour une personne avancée en âge ? Dans cette « ambiance » de dépouillement relationnel humain, comment être présent aux autres alors qu’un virus rôde cherchant qui infecter ? J’ai pris ce temps comme un temps de « retraite ». Ce fut pour moi un temps béni de recentrement, de calme et de sérénité malgré les événements.

En quoi le Coronavirus a-t-il changé votre vie ? 

Cette situation m’a fait prendre plus conscience de mes actes au quotidien et de ma présence à ceux-ci, en évitant l’accomplissement machinal. J’ai découvert l’importance de la relation aux autres (échanges, sourires, aides…). J’ai pris conscience aussi de la dimension de l’humanité comme famille, une famille fragile. Nous vivons en un lieu déterminé, en un temps donné, mais toute la planète fut frappée par le même virus, avec il est vrai des nuances dans les mesures adoptées. La relation à l’autre s’est retrouvée en situation « délicate ». À cause des mesures de protection, la vie quotidienne s’est teintée de précautions n’ayant pas forcément cours habituellement. Certaines activités cessèrent comme le sport en salle et en groupe, les bibliothèques ouvertes, la célébration publique de l’eucharistie. Dans un premier temps, j’ai trouvé « amusant » d’être sur mes gardes, puis j’ai pris conscience que la vie des autres et la mienne étaient précieuses. Je peux, même involontairement, être la cause de la mort de mon prochain. 

Enfin, cette situation m’a permis de vérifier ce qui est « permanent » dans ma vie (rythme de vie, règle de prière, attention aux autres). J’ai également relevé ce qui relève plutôt de l’inconstance (sorties pour un oui ou pour un non, besoin d’être « branché » au monde, à son bruit, à ses faux bonheurs qui s’étalent constamment par toutes sortes de moyens, devant moi). 

Comment voyez-vous la suite ? 

Je ne la vois pas ! Tout dépend de ce que nous allons faire de ces quelques semaines insolites, qui ont marqué nos vies et l’histoire de notre planète. Conduiront-elles à un renouveau planétaire, à une plus forte dimension spirituelle, à la sauvegarde de la création, à un choix de vie au quotidien plus austère, mais sans rigidités ? Peut-être !

Durant quelque temps, nous entendrons encore parler de cette pandémie. Le virus sera peut-être à nouveau très présent vers la fin de l’année et au début de l’année prochaine. Les découvertes médicales contribueront sans doute à une appréhension plus « pacifiée » de la situation. Nous serons peut-être confrontés à un nouveau virus. Mais notre mémoire s’estompe assez rapidement et nos (pseudo) besoins nous y aideront. Après la Première Guerre mondiale (1914-1918), cette partie du monde a connu la pandémie de la grippe espagnole, puis il y eut les années folles. Il fallait passer à autre chose, oublier. La Deuxième Guerre mondiale (1939-1945) avec ses ténèbres laissa place à la reconstruction, puis il y eut les trente glorieuses. Ensuite apparut la pandémie du VIH, sans oublier d’autres pandémies sur d’autres continents. Drogues en tous genres, chômage, catastrophes naturelles, guerres ici et là et revendications en tous genres ponctuèrent et ponctuent notre quotidien. Enfin, il y a aussi notre propre péché, lui aussi quotidien. La suite sera donc, pour moi, ce que j’en ferai et au niveau planétaire, ce que nous en ferons.

Est-ce que tout va revenir comme avant ?

L’inconstance et une dimension qui marque notre existence. Nous ne sommes pas les mêmes qu’avant, dans tous les cas. Et d’ailleurs était-ce vraiment bien avant ? La période traversée a été vécue plus ou moins difficilement et cela laissera des souvenirs, des traces, peut-être même des réactions sociales prises lors de la pandémie. Un retour à la vie normale n’est pour moi pas synonyme de revenir « comme avant ». Cet avant n’existe d’ailleurs plus. Nous avons vécu seuls et ensembles, quelque chose d’insolite. Quel sens allons-nous donner à cela ici et maintenant, afin de baliser le futur qui ne nous appartient pas encore ? Une opportunité est celle d’augmenter productions et consommations en tous genres (nourriture, voyages, développements techniques pour aller toujours plus vite). En contrepartie nous serons confrontés peut-être aussi, aux laissés-pour-compte de la reprise. Chômage ou perte d’emploi des uns, maladies des autres, pauvretés affectives et matérielles seront encore peut-être pour longtemps des effets périphériques de la Covid-19. Une autre opportunité est celle de tirer les leçons tant au plan individuel, familial, économique, religieux, de ces semaines, et de commencer par améliorer chacun à notre niveau ce qui peut l’être. Puis, par cercles concentriques mon amélioration contribuera à provoquer une autre amélioration, visible ou non. Une goutte d’eau dans un océan, mais si la goutte fait défaut, elle manquera à l’océan, selon une image de Thérèse de Calcutta. Elle s’y connaissait, elle, en pandémies!

De quelle manière cette période a-t-elle transformé votre relation à Dieu ? 

Le « confinement » et une société tournant au ralenti voir même paralysée m’a permis d’être plus présent à moi-même et certainement à Dieu. Si certains éléments sont bien stabilisés dans ma vie de prière, celle-ci a été colorée par les événements du monde (morts, malades, annulations des cérémonies liturgiques…) qui ont naturellement rejailli sur cette relation. Confiance et doute sur l’existence de Dieu, don agir, sa présence, mais aussi sur ma connaissance de Dieu, l’image que j’en ai ou je m’en fais, la lassitude de dire et redire, de demander et redemander, lassitude à laquelle est venue se mêler quelques fois la lassitude physique sont quelques éléments qui ont égrené ces jours dans ma relation à Dieu. Une grâce spéciale m’a été offerte en pouvant participer une à deux fois par semaine à une messe célébrée à huis clos. Je servais cette célébration, puis avec beaucoup de précautions, la communion m’était donnée. Cette grâce fut plus intensément vécue lors du Jeudi saint (institution du sacerdoce et de celui de l’eucharistie) et du dimanche de Pâques (triomphe de la vie sur la mort) ou avec quatre autres personnes, je participais par le chant à ces célébrations, là aussi en tenant compte des normes de sécurité. La même grâce me fut donnée le dimanche de la Divine miséricorde. J’ai aussi eu recours au sacrement du pardon, soit chez des prêtres séculiers soit chez des religieux. Autrement chaque jour, je partais soit pour Rome, soit ailleurs, pour participer à la messe en direct et ainsi bénéficier des lectures du jour, mais surtout de leur explicitation par l’homélie. Je me savais en outre, en communion avec de nombreux fidèles qui en ce même moment participaient à la même célébration que moi. L’après-midi je prenais quelques fois le chemin de Lourdes pour la prière du chapelet en direct. J’ignore de quelle manière cette période a transformé ma relation à Dieu. Je dirai plutôt qu’il y a eu à la fois une continuité et une redécouverte, comme la communion spirituelle ou des « originalités » comme le fait de choisir une célébration selon mes disponibilités. C’est transformant ! Ainsi le dimanche je participais à une messe à 8h du matin. Ceci serait « impossible » en temps normal, car là où je vis, il n’y a pas de messe à cette heure-là le dimanche. Le calme environnant m’a fait aussi sentir plus sensiblement la paix extérieure, intérieure et la confiance. Deux mots que je garderai dans ma relation à Dieu au cours de ces semaines : paix et confiance. 

Et avec les autres ?

Une porte qui claque dans l’immeuble, des conversations sur le palier, des voisins au balcon parlant, chantant, mangeant, m’ont quelques fois agacé. Non le bonheur de ces gens, mais l’irruption de bruits intempestifs dans un silence extérieur bienfaisant. Au supermarché il y avait aussi ces personnes qui s’attardaient au rayon auquel je voulais accéder et qui m’obligeaient à modifier mon parcours ou à repasser plus tard. Agaçant, certes, mais je décidai de faire preuve de patience. Après tout en cette période rien ne pressait ! Agacement aussi face aux premières personnes à porter un masque et ne le portant pas correctement. À quoi bon, alors !? Agacements enfin, lorsque je jugeais des attitudes peu conformes aux normes de protection. Dieu merci, j’eus beaucoup de joie aussi de croiser au détour d’une rue une personne connue, d’échanger quelques nouvelles sur les uns et les autres, ou lors de mon jogging quasi quotidien. Je croisais des personnes que je connaissais. Cela faisait du bien de les revoir et de s’arrêter pour brièvement parler. Durant cette période, j’ai pris le train pour rendre visite à des proches dans une autre ville. Durant ce transport l’absence des autres de fait sentir. Quelques personnes, c’est tout. Certains jours, même pas de contrôleur.

Devant participer à des cours, je découvris la visioconférence, avec ces connexions ratées ou réussies, mais surtout cette participation à un même événement, chacun chez soi, mais en se voyant et se parlant. J’ai trouvé cela extraordinaire et finalement très utile. Le téléphone fonctionna à plein régime. Appels pour prendre des nouvelles et en donner ici et ailleurs dans le monde, sans oublier les aides en tous genres prodiguées à travers lui (relecture de textes, conseils pour aider une personne malade, prières…). Courriels et autres messages ont aussi contribué à garder le lien social. Je suis très reconnaissant à tous ces moyens qui nous permettent de nous parler malgré les distances. J’ai même pris contact avec des personnes avec lesquelles je n’avais plus parlé depuis longtemps. Quelques verres sont déjà prévus, lors de la reprise de notre vie quotidienne. Même s’il y a absence physique les moyens de communication m’ont permis de rester en contact avec les autres et de les prendre dans ma prière quotidienne, comme j’espère et je souhaite avoir été pris dans celle des autres.