« Dans ce paysage de ruines, tant matérielles que morales, la récente trêve nous a offert un répit précaire, mais pas la sérénité. La fin des hostilités ne signifie pas le début de la réconciliation », a souligné le cardinal Pierbattista Pizzarella. Le patriarche latin de Jérusalem a présenté le 14 novembre à Fribourg une conférence sur le thème « Jérusalem entre réalité et vocation, une lumière pour la paix ». Dans le cadre du Dies academicus 2025, il a reçu le titre de docteur honoris causa de l’Université de Fribourg.
«Je ne viens pas en expert des affaires géopolitiques, mais en pasteur: un témoin issu de l’expérience vécue de la Terre sainte», a affirmé le cardinal Pizzaballa. Le prélat a constaté que depuis le 7 octobre 2023 la Terre Sainte était plongée dans une mer de sang et de feu. Il a relevé que cet affrontement armé avait transformé de manière décisive les relations entre les communautés. « Si je devais résumer la condition humaine en Terre Sainte au cours de ces mois par une seule image, ce serait celle-ci : une douleur incapable de reconnaître la douleur des autres. Chacun se vit comme victime dans un tsunami d’hostilité. »
Il a analysé trois aspects principaux du conflit: l’effondrement du dialogue interreligieux, le rôle destructeur du langage politique et les crises internes qui traversent les sociétés israélienne et palestinienne.
Le dialogue interreligieux
« Avec l’aide de Dieu, nous avons essayé d’être un pont et de garder vivante une étincelle d’espoir. » Mais pour le cardinal Pizzaballa le véritable défi ne fait que commencer. Selon lui le dialogue interreligieux est à un tournant. « La crise a fragilisé des années de dialogue interreligieux acharné. Elle a détruit l’illusion de solutions rapides à la question israelo-palestinienne et à la paix.
« Il nous faut repartir de nos expériences actuelles et aborder les thèmes centraux pour nos communautés respectives : la relation entre la religion et la politique, les différentes interprétations de l’Écriture, les concepts de personne, de droits et de dignité, l’identité personnelle et collective – en somme, des questions qui relient directement la sphère religieuse à la vie civile et sociale de nos communautés. »
Au-delà des oppositions politique et militaire, le cardinal relève une forme de « conflit spirituel ». « L’hostilité radicale et ses conséquences posent un défi immense à la vie spirituelle. En Terre Sainte, la foi et la religion sont déterminantes pour l’existence des différentes communautés: chrétiennes, musulmanes et juives. Dès lors, une question s’impose: dans ce conflit à l’impact dévastateur sur tous, quel a été le rôle de la foi et de la religion? » Le prélat souligne que les croyants doivent « lever le regard et reconnaître que Dieu les appelle ultimement à se tourner vers les autres, qui sont créés à l’image et à la ressemblance de Dieu. »
Le cardinal Pierbattista Pizzaballa a présidé la messe du Dies academicus qui a eu lieu le 14 novembre en l’église du Christ-Roi
Le langage politique
« J’ai réalisé combien il est nécessaire, non seulement de s’assurer que nos institutions assument leurs responsabilités, mais aussi que nous soyons présents avec des paroles d’encouragement, et plus encore, de direction et d’orientation, dans un contexte de perte et de désorientation totales. Aux images de douleur et de haine, nous devons répondre par des images et des paroles d’espérance et de lumière.», a relevé le cardinal Pizzaballa. Cependant il a constaté que la politique de ces dernières années n’ a cessé de répandre des mots de haine, de mépris et de rejet de l’autre. « Le langage construit l’opinion et la pensée; il peut nourrir l’espoir, mais aussi le ressentiment. La nécessite de rester humain, de respecter la dignité, le droit à la vie et à la justice de chacun, en un mot l’humanité, commence avec le langage. Il est nécessaire d’avoir le courage d’adopter un langage inclusif, même dans les oppositions ou les conflits les plus violents.»
Le cardinal Pizzaballa a relevé que tout était à reconstruire, pas seulement des maisons, mais aussi la confiance. Pour y parvenir, il souligne que les mots «justice», «vérité», «pardon» et «réconciliation» doivent devenir des réalités vécues.
La nouvelle Jérusalem
En tant que patriarche de la ville sainte, le prélat s’est appuyé sur l’image de la nouvelle Jérusalem présente dans l’Apocalypse pour esquisser des chemins de «guérison». « Dans la vision du livre de l’Apocalypse, Jérusalem n’est pas une utopie, mais un modèle d’existence. Elle représente la manière dont les chrétiens sont appelés à habiter le monde. » Pour le patriache, la question de la question de Jérusalem ne se réduit pas à des frontières politiques ou à des accords techniques. « Nous devons reconnaître que l’essence même de la ville sainte et de la Terre Sainte en général, comme le lieu de la révélation de Dieu, le lieu où les religions trouvent leur maison spirituelle. Aucun projet de paix en Terre Sainte ne peut faire abstraction de la dimension verticale, de la conscience que cette terre est avant tout le lieu de la Révélation. »
Le cardinal Pizzaballa voit cette Jérusalem nouvelle comme une ville qui descend du ciel. « Sans cette ‘descente du ciel’ permanente, c’est-à-dire sans enraciner constamment leur manière de penser dans la relation avec Dieu et sans se nourrir sans cesse de sa Parole, les religions risquent de se transformer en forteresses closes plutôt qu’en cites accueillantes. »
Dans cette ville nouvelle, Dieu ne réside plus dans une construction, mais dans une relation. « Dans la nouvelle Jérusalem, il n’y a pas de lieux à posséder, seulement des relations à édifier. Message crucial dans notre contexte marqué par les conflits territoriaux, la définition des frontières et l’exclusion mutuelle. » Le patriarche de Jérusalem a précisé que si les frontières restent indispensables pour délimiter nos espaces vitaux, elles ne doivent pas devenir des instruments de division.
Que la Jérusalem terrestre devienne un véritable signe de paix et de guérison pour le monde.
Une ville avec des portes toujours ouvertes
L’Apocalypse parle également d’une ville dont les portes sont toujours ouvertes. Le cardinal s’y réfère concernant l’interprétation de l’histoire. «Aujourd’hui, chacun a sa propre lecture de l’histoire, son propre récit des événements, souvent teintée de méfiance envers l’autre, perçu comme une menace – à tort ou à raison.» Mgr Pizzaballa estime « nécessaire de repenser les catégories de l’histoire, de la mémoire et, par conséquent, de la culpabilité, de la justice et du pardon, en reliant directement la sphère religieuse aux domaines moral, social et politique. Une grande partie de la violence d’aujourd’hui provient de l’incapacité à reconsidérer de manière critique son propre récit historique. »
La Jérusalem céleste est une ville qui guérit les nations. « Non seulement les peuples ne sont pas perçus comme une menace, mais au contraire comme une source de richesse. Jérusalem s’enrichit de ce qu’elle reçoit des autres. »
Le patriarche latin de Jérusalem a noté que la Terre Sainte n’était pas un microcosme clos sur lui-même. « Le cœur du monde bat à Jérusalem. Les millions de pèlerins qui arrivent du monde entier dans la ville sainte en témoignent. Les pèlerins font partie de l’identité de la ville. Sans eux, comme nous pouvons malheureusement le constater ces jours-ci, la ville reste incomplète. »
La vocation de Jérusalem ne se limite pas à ses murs. La ville sainte une ville appelée à porter du fruit pour l’humanité. Elle a une mission unique : « guérir les nations ».
« Il faudra de longs chemins de guérison pour les nombreuses et très douloureuses blessures que ce conflit a produites dans la vie de toutes les communautés. Guérir des blessures, de la haine, de la mémoire toxique – c’est la tâche ultime et sublime de la Terre Sainte. » Le cardinal Pierbattista Pizzaballa a conclut en disant que « La communauté chrétienne est encouragée à incarner les valeurs de la Jérusalem céleste – être un pont, une lumière et une maison aux portes ouvertes – afin que la Jérusalem terrestre devienne un véritable signe de paix et de guérison pour le monde.