«Je vis une belle aventure avec le Seigneur», relève Mère Marie-Agnès Berger, la nouvelle abbesse de la Maigrauge. Élue le 25 mars dernier, elle recevra la bénédiction abbatiale le 11 juillet prochain. Nous vous invitons à découvrir son riche parcours et son beau témoignage d’espérance: entre rupture et continuité!
Mère Marie-Agnès vous n’êtes pas Suissesse, comment êtes-vous arrivée à la Maigrauge ?
Nul doute que c’est le Seigneur qui m’a conduite à la Maigrauge et ses chemins sont vraiment impénétrables ! Je suis d’origine parisienne et après des études universitaires en chimie et biochimie, j’ai travaillé pendant quatre ans dans un laboratoire de recherche cosmétique. En 2006, à l’âge de 29 ans, je suis entrée dans une communauté bénédictine en Normandie. J’y ai vécu pendant un peu moins de quinze ans. Malheureusement, par manque de vocations, nous avons dû prendre la décision de fermer la communauté. Cette expérience de deuil a été très douloureuse pour nous toutes et mon espérance a été mise à rude épreuve, mais j’ai eu peu à peu la certitude que c’était bel et bien la volonté de Dieu.
Début 2019, j’avais passé un très bon séjour de repos à l’hôtellerie de la Maigrauge, et j’avais beaucoup apprécié l’atmosphère de calme, de paix et de prière. Et lorsque le moment fut venu de choisir un nouveau lieu de vie, la Maigrauge s’est rapidement imposée à moi : j’y suis arrivée en août 2020, avec un grand besoin de me ressourcer. J’ai donc vécu un an comme hôte dans la communauté, en gardant mon habit de bénédictine. L’accueil fraternel et bienveillant des sœurs m’a permis de retrouver le goût de vivre et après une année, j’ai donc demandé à recevoir l’habit cistercien.
Comme le demande l’Église, j’ai fait trois ans de probation qui est un temps d’« apprivoisement » mutuel entre la nouvelle sœur et la communauté. De plus, dans la Règle de saint Benoît, il y a quatre vœux en trois : le vœu d’obéissance, le vœu de conversion de vie (qui correspond au vœu de pauvreté et à celui de chasteté) et le vœu de stabilité. Il me restait donc à transférer ce vœu de stabilité de mon ancien monastère à la Maigrauge. C’est ce que j’ai vécu avec mes sœurs le 22 août 2024. Depuis cette date, j’appartiens définitivement à la communauté de la Maigrauge.
Mère Marie-Agnès entourée de Dom Marc, Père abbé d’Hauterive, et de Mère Marianne
Avez-vous gardé des liens avec vos anciennes consœurs bénédictines ?
Mes consœurs bénédictines étaient toutes beaucoup plus âgées que moi. A la fermeture de la communauté, nous étions huit sœurs. Plusieurs ont rejoint des communautés bénédictines en France. D’autres sont parties en maison de retraite religieuse, pour vivre jusqu’au bout leur vocation. Je suis toujours en lien avec elles. En 2022, j’ai demandé à Mère Marianne de pouvoir aller les visiter chacune dans leur nouveau lieu de vie : un beau lien demeure, malgré les blessures liées à la fermeture.
Comment est née votre vocation à la vie religieuse ?
J’ai grandi dans une famille catholique pratiquante. Lorsque j’étais jeune professionnelle, j’étais très engagée dans ma paroisse. J’y ai rencontré un prêtre qui m’a beaucoup marquée et qui est devenu mon Père Spirituel. Je me rendais compte que Dieu prenait de plus en plus de place dans ma vie, mais que cela ne me suffisait pas ! En même temps j’avais une vie amicale développée et je sortais beaucoup. J’ai alors senti que j’avais besoin de me poser : je suis partie dans ce monastère en Normandie pour une semaine. J’ai eu un véritable coup de foudre, et je me suis dit : « c’est là que le Seigneur t’attend ». Je suis rentrée chez moi avec une profonde joie, mais aussi une appréhension pour ce qui m’attendait ! ! L’idée a fait son chemin et la question de la vocation revenait de plus en plus. Et en 2005, j’ai participé aux JMJ de Cologne, en encadrant un grand groupe de jeunes de la Paroisse : là, j’ai eu le coup de pouce décisif du Seigneur. Après un an et demi de réflexion et de discernement, j’ai donc pris la décision de donner ma vie au Seigneur !
Vous étiez bénédictine et maintenant vous êtes cistercienne, qu’est-ce que cela change dans votre vocation ?
Cisterciennes et bénédictines suivent la Règle de saint Benoît. Bien sûr, comme entre familles, il y a des us et coutumes différents entre communautés, notamment au niveau de la liturgie, des habitudes de la vie communautaire…. Lorsque j’ai commencé la vie monastique, j’avoue que je ne connaissais pas beaucoup la Règle de saint Benoît. Petit à petit, durant le postulat et le noviciat, je me suis aperçue que cette règle de vie me correspondait et était en cohérence avec ce que je souhaitais vivre. Lorsque ma communauté a fermé, j’avais besoin d’une rupture, mais aussi de continuité… J’ai changé de pays et d’Ordre, mais j’ai retrouvé l’essentiel et même plus, car la spiritualité cistercienne est mariale : la Vierge Marie est patronne de notre Ordre Cistercien !
Ce qui me fascine dans notre vie, c’est son équilibre : entre les temps communautaires et de solitude, les temps d’échanges et de silence, entre la prière commune et la prière personnelle, entre le travail intellectuel et le travail manuel. La prière est notre travail et notre travail devient prière.
Les stalles de l’église de la Maigrauge dans lesquelles les cisterciennes se réunissent plusieurs fois par jour pour prier.
Qu’est-ce que pour vous l’espérance ?
L’espérance est avec la foi et la charité un lien direct avec Dieu. L’espérance donne un but, un sens à la vie. Elle nous permet de traverser les épreuves. J’en ai fait l’expérience… Nous n’espérons pas quelque chose, mais quelqu’un : le Seigneur. Dans les psaumes qui nous nourrissent quotidiennement, nous entendons à de nombreuses reprises : « sois fort, prends courage et espère le Seigneur ». Espérer le Seigneur est véritablement ce qui donne de la force à notre vie. Quand je pense à l’espérance, je vois aussi la croix glorieuse du Christ : ses deux dimensions verticale (notre relation à Dieu) et horizontale (notre relation aux autres) et la lumière de la résurrection qui jaillit.
Dans notre monde en souffrance où tant d’hommes et de femmes ont perdu le sens de leur vie, je dirais que notre rôle, en tant que moniale, est d’espérer pour ceux qui n’espèrent plus, de demander pardon pour ceux qui n’y parviennent pas, d’aimer pour ceux qui n’en ont plus la force. Il y a là quelque chose de très mystérieux qui n’est ni palpable ni quantifiable, mais qui est une grande part de notre vie, de la communion des saints. Nous prions les uns pour les autres et pour le monde.
Percevez-vous des signes d’espérance dans votre communauté et dans la société?
Je crois que tous les jours nous percevons des signes d’espérance. Les gens que nous accueillons à l’hôtellerie ou au parloir nous confient leurs joies, leurs peines, leur détresse et aussi leur espérance. Par exemple, lorsque des hôtes arrivent épuisés et qu’après quelques jours nous les apercevons le visage souriant, le regard clair, nous savons que le Seigneur a travaillé, peut-être un peu à travers nous, et là, ce sont de beaux signes d’espérance.
Dans l’Église, les nombreux catéchumènes et baptêmes de ces dernières années ne sont-ils pas aussi des signes d’espérance ?
Dans notre vie, nous ne sommes pas amenées à poser des actes héroïques. Notre héroïsme se trouve dans les petites choses du quotidien. Cela me fait penser à sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus, une Normande, très vénérée dans ma première communauté : sa petite voie était de tout faire par amour. Le Seigneur nous demande chacune à notre place de faire les choses avec amour. Même des choses très humbles faites avec amour peuvent donner de l’espérance au monde.
La fidélité de mes sœurs est aussi un signe d’espérance. Nous ne pourrions pas poursuivre cette vocation, s’il n’y avait pas la fidélité du Seigneur qui nous aide et nous porte, même si c’est parfois dans le noir complet, le brouillard et la souffrance.
Les cisterciennes réunies dans la salle du chapitre.
En cette année jubilaire, le pape nous invite à devenir des pèlerins d’espérance. Comment répondre à cet appel lorsque l’on est une religieuse cloîtrée?
J’aime la notion de pèlerinage. Depuis notre baptême nous sommes des petits pèlerins. Nous avançons sur la route vers le Seigneur avec nos différents choix, nos diverses décisions, nos épreuves et nos chemins de traverse.
Pour moi, ce pèlerinage est avant tout intérieur. Nous avons tous nos portes saintes intérieures à franchir. Et, en tant que religieuses cloîtrées, nous accompagnons de notre prière tous les pèlerins qui vivent cette démarche concrètement.
Encore une fois, notre espérance peut être mise à mal par certains évènements, par les guerres, les injustices. Mais nous devons prendre soin de notre Espérance, car le Seigneur a vaincu le monde. Jésus est toujours là pour nous relever, si nous tombons. L’image n’est pas de moi, mais je l’aime beaucoup : nos monastères sont comme des doigts qui montrent le ciel. C’est aussi cela l’Espérance : élever nos cœurs et relever la tête, car le Seigneur est là…malgré tout !
Au sein du monastère vivez-vous la synodalité ?
Oui. J’ose dire que nos monastères ont été les pionniers de la synodalité. Saint Benoît a, dans sa Règle, un chapitre sur l’appel des frères en conseil. Il dit : « on pourra demander conseil au plus jeune frère ». Pour saint Benoît, la communauté ce n’est pas le Père abbé d’un côté et le « troupeau des frères » de l’autre. Je suis sœur avec mes sœurs, avec ce rôle d’autorité, qui est d’abord un service. Saint Benoît relève l’image du pasteur en marche avec ses brebis.
Marcher ensemble, c’est cela la synodalité. C’est ce que nous essayons de vivre dans notre quotidien. Nous pratiquons concrètement la synodalité au sein de nos rencontres communautaires. Nous discutons toutes ensemble des questions et des sujets qui concernent la communauté. Chacune des sœurs émet son avis, les autres écoutent.
Propos recueillis par Véronique Benz
L’élection d’une nouvelle abbesse
L’élection d’une nouvelle abbesse se passe un peu comme un conclave. Toutes les sœurs sont réunies dans la salle du chapitre. Le Père immédiat de la communauté, (pour la Maigrauge, il s’agit de Dom Marc, Père abbé d’Hauterive) préside et est accompagné d’un moine qui tient le rôle de notaire. S’il y a élection, le Père abbé demande à la sœur élue si elle accepte. Il lui remet alors la croix pectorale, le sceau et les clefs du monastère et elle fait une profession de foi. Ensuite, la communauté quitte le chapitre et le Père abbé installe la nouvelle abbesse dans sa stalle à l’église. Tous chantent le « Te Deum ». Dans les trois mois qui suivent a lieu la bénédiction abbatiale : devant l’Église, la nouvelle Mère abbesse est bénie par le Père abbé général de l’Ordre (Dom Mauro-Giuseppe Lepori) et reçoit l’anneau et la crosse (ce sont les mêmes insignes pastoraux que ceux d’un évêque).
Les tâches d’une Mère abbesse
« La Mère abbesse est un peu comme un couteau suisse, multifonction, » relève Mère Marie-Agnès. « Son premier rôle est spirituel. Elle a la charge de guider les sœurs et de maintenir un climat de liberté et de confiance mutuelle. Comme les décisions importantes se prennent toujours en communauté, la Mère abbesse a aussi un rôle d’écoute. Pour le travail, je souhaite être avec mes sœurs sur le terrain, dans la mesure du possible. Nous avons aussi des formations : en septembre prochain, j’irai à Rome pour suivre un cours pour les supérieur(e)s de notre Ordre.»
«Après ces trois premiers mois, je trouve que c’est une fonction aussi belle qu’exigeante et aussi un appel très fort à la sainteté ! Je me sens tellement petite… Le défi est d’être à la fois devant pour motiver et encourager et derrière pour vérifier que toutes suivent le rythme, pour que tout le troupeau marche ensemble ! Pouvoir vivre en harmonie avec nos diversités, en cherchant Dieu : voilà ce que je souhaite proposer à mes sœurs en suivant la devise abbatiale que j’ai choisie : Paix et joie dans l’Esprit Saint. »