Vatican

«Dilexi Te» : le pape renforce les critiques contre « l’économie qui tue » et rejette la foi dans les « forces invisibles du marché»

Première exhortation du pontificat : le pape déplore que les pauvres soient rendus responsables de leur condition

Léon XIV reprend et approfondit les critiques de François contre « l’économie qui tue », dans sa première exhortation apostolique, Dilexi Te, publiée aujourd’hui par le Vatican.

« Il est donc nécessaire de continuer à dénoncer la “dictature d’une économie qui tue” et de reconnaître qu’« alors que les gains d’un petit nombre s’accroissent exponentiellement, ceux de la majorité se situent d’une façon toujours plus éloignée du bien-être de cette minorité heureuse », écrit le pape dans un document commencé par son prédécesseur.

Le titre Dilexi Te (Je t’ai aimé, en français) est tiré d’un passage du dernier livre de la Bible, l’Apocalypse (Ap 3, 9).

L’exhortation apostolique dénonce des « systèmes » politiques et économiques qui perpétuent la misère, appelant à une transformation sociale pour dépasser les modèles distributifs qui légitiment les inégalités extrêmes et le rejet des personnes, une culture « qui tolère avec indifférence que des millions de personnes meurent de faim ou survivent dans des conditions indignes de l’être humain ».

« Bien qu’il existe différentes théories qui tentent de justifier l’état actuel des choses ou d’expliquer que la rationalité économique exige que nous attendions que les forces invisibles du marché résolvent tout, la dignité de toute personne humaine doit être respectée maintenant, pas demain, et la situation de misère de tant de personnes à qui cette dignité est refusée doit être un rappel constant à notre conscience », appelle Léon XIV.

Il devient normal d’ignorer les pauvres et de vivre comme s’ils n’existaient pas. Le choix semble raisonnable d’organiser l’économie en demandant des sacrifices au peuple pour atteindre certains objectifs qui concernent les puissants. Pendant ce temps, seules les “miettes” qui tomberont sont promises aux pauvres jusqu’à ce qu’une nouvelle crise mondiale les ramène à leur situation antérieure.

Dilexi Te §93

Le pape déplore, en particulier, que les populations les plus vulnérables soient culpabilisées pour leur situation.

« Les pauvres ne sont pas là par hasard ni en raison d’un destin aveugle et amer. La pauvreté n’est pas non plus, pour la plupart d’entre eux, un choix. Certains osent pourtant encore l’affirmer, faisant preuve d’aveuglement et de cruauté », critique-t-il.

Léon XIV rappelle ceux qui travaillent quotidiennement pour « survivre » sans «  jamais améliorer véritablement leur vie».

« Nous ne pouvons pas dire que la majorité des pauvres le sont parce qu’ils n’auraient pas acquis de “mérites”, selon cette fausse vision de la méritocratie où seuls ceux qui ont réussi dans la vie semblent avoir des mérites », écrit-il.

Le pape invite à rejeter une vision de la vie « axée sur l’accumulation de richesses et la réussite sociale à tout prix, y compris au détriment des autres et en profitant d’idéaux sociaux et de systèmes politico-économiques injustes qui favorisent les plus forts ».

« Dans un monde où les pauvres sont de plus en plus nombreux, nous assistons paradoxalement à la croissance de certaines élites riches qui vivent dans une bulle de conditions très confortables et luxueuses, presque dans un autre monde par rapport aux gens ordinaires. Cela signifie que persiste encore – parfois bien masquée – une culture qui rejette les autres sans même s’en rendre compte », avertit-il.

Les moins pourvus ne sont-ils pas des personnes humaines ? Les faibles n’ont-ils pas la même dignité que nous ? Ceux qui sont nés avec moins de possibilités ont-ils moins de valeur en tant qu’êtres humains, doivent-ils se contenter de survivre ? La réponse que nous apportons à ces questions détermine la valeur de nos sociétés et donc notre avenir. Soit nous reconquérons notre dignité morale et spirituelle, soit nous tombons dans un puits d’immondices

Dilexi Te §95

Le texte commence par expliquer que François préparait cette exhortation apostolique avant sa mort, un projet maintenant assumé et publié par son successeur.

« Pour nous chrétiens, la question des pauvres nous ramène à l’essentiel de notre foi », écrit Léon XIV, élu le 8 mai.

Le document pontifical avertit de la nécessité de poursuivre « l’engagement en faveur des pauvres et pour l’élimination des causes sociales et structurelles de la pauvreté ».

« Les sociétés dans lesquelles nous vivons privilégient souvent des critères d’orientation de l’existence et de la politique marqués par de nombreuses inégalités. Par conséquent, aux vieilles pauvretés dont nous avons pris conscience et que nous essayons de combattre, s’ajoutent de nouvelles, parfois plus subtiles et plus dangereuses », indique le pape.

Citant François, Léon XIV alerte sur « les effets de la dégradation de l’environnement, du modèle actuel de développement et de la culture du déchet » sur la vie de millions de personnes, en particulier les plus fragiles.

L’exhortation apostolique Dilexi Te est divisée en 121 points, avec près de 60 citations de François parmi les 129 notes du texte.

Une exhortation apostolique est un document formel du pape, adressé principalement aux catholiques, sans s’y limiter, dont l’objectif principal est d’orienter les destinataires sur un thème spécifique – dans ce cas, « l’amour envers les pauvres » –, stimulant la réflexion et l’action.

Sans le poids officiel d’une encyclique, le document papal le plus solennel, chaque exhortation apostolique est vue comme un texte qui exprime directement la vision du pontife sur le thème en question.

L’exhortation est accompagnée d’une brève lettre du pape adressée aux évêques du monde entier : « C’est avec une grande joie que je vous écris, suivant une pratique initiée par le pape François il y a plus de dix ans, associant tout le Collège épiscopal aux moments importants du Magistère pontifical. Que la Dilexi Te aide l’Église à servir les pauvres et à les conduire au Christ », indique Léon XIV.