Vatican

« Nous ne devons pas baisser la garde face à la pauvreté » – Léon XIV

La première exhortation du pontificat évoque les victimes de la faim et des « inégalités croissantes », y compris en Europe

Léon XIV reprend les critiques du pape François contre « l’économie qui tue » dans la première exhortation apostolique de son pontificat, Dilexi Te, publiée hier par le Vatican.

« Nous ne devons pas baisser la garde face à la pauvreté. Nous sommes particulièrement préoccupés par les conditions difficiles dans lesquelles vivent nombre de personnes en raison d’un manque de nourriture et d’eau. Chaque jour, plusieurs milliers de personnes meurent de causes liées à la malnutrition », écrit le pape dans un document dont la préparation avait été commencée par son prédécesseur.

Le titre Dilexi Te (« Je t’ai aimé » en français) est tiré d’un passage du dernier livre de la Bible, l’Apocalypse (Ap 3, 9). François préparait cette exhortation apostolique avant sa mort (le 21 avril), un projet désormais repris et publié par Léon XIV.

Le document pontifical souligne que, même en Europe, « de plus en plus de familles n’arrivent pas à boucler leurs fins de mois ».

« On constate de manière générale une augmentation des différentes manifestations de la pauvreté. Celle-ci ne se présente plus comme une condition unique et homogène, mais se décline sous de multiples formes d’appauvrissement économique et social, reflétant un phénomène d’inégalités croissantes, même dans des contextes généralement prospères », peut-on lire.

Bien que des changements importants soient observés dans certains pays, « l’organisation des sociétés dans le monde entier est loin de refléter clairement le fait que les femmes ont exactement la même dignité et les mêmes droits que les hommes. On affirme une chose par la parole, mais les décisions et la réalité livrent à cor et à cri un autre message », surtout si nous pensons en particulier aux femmes les plus pauvres.

Dilexi Te §12

Léon XIV affirme que le cœur de l’Église est « solidaire avec ceux qui sont pauvres, exclus et marginalisés, ceux qui sont considérés comme des “rebuts” de la société ».

« La culture dominante au début de ce millénaire pousse à abandonner les pauvres à leur sort, à ne pas les considérer dignes d’attention et encore moins de reconnaissance », déplore-t-il.

Le pape critique certaines attitudes présentes dans les communautés catholiques, où l’on pense que le seul devoir consiste à « prier et enseigner la vraie doctrine », en détachant cet aspect religieux de la promotion intégrale de la personne.

« Ils ajoutent que seul le gouvernement devrait s’occuper d’eux, ou qu’il vaudrait mieux les laisser dans la misère, en leur apprenant plutôt à travailler. Quelques fois, on adopte des critères pseudo-scientifiques pour affirmer que la liberté du marché conduira spontanément à la solution du problème de la pauvreté », avertit-il.

Citant l’instruction de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi sur certains aspects de la « théologie de la libération » (6 août 1984), le pape écrit :
« Le souci de la pureté de la foi ne va pas sans le souci d’apporter, par une vie théologale intégrale, la réponse d’un témoignage efficace de service du prochain, et tout particulièrement du pauvre et de l’opprimé ».

« On constate parfois dans certains mouvements ou groupes chrétiens un manque, voire une absence, d’engagement pour le bien commun de la société et, en particulier, pour la défense et la promotion des plus faibles et des plus défavorisés. Il convient de rappeler que la religion, en particulier la religion chrétienne, ne peut se limiter à la sphère privée », insiste-t-il.

Léon XIV, qui fut missionnaire et évêque au Pérou, dénonce ce qu’il appelle « une pastorale des soi-disant élites », selon laquelle « qu’au lieu de perdre son temps avec les pauvres, il vaut mieux prendre soin des riches, des puissants et des professionnels afin qu’à travers eux l’on puisse parvenir à des solutions plus efficaces ».

« Il est facile de saisir la mondanité qui se cache derrière ces opinions : elles nous conduisent à regarder la réalité au moyen de critères superficiels et dépourvus de toute lumière surnaturelle, en privilégiant des fréquentations qui nous rassurent et en recherchant des privilèges qui nous arrangent », souligne-t-il.

Le document valorise les initiatives que l’Église catholique a promues au cours de son histoire auprès des migrants, des malades et des prisonniers, comme signe de fidélité à l’Évangile et de maturité sociale.

Parmi les figures citées figure le Portugais saint Jean de Dieu (1495-1550), qui fonda l’Ordre Hospitalier à Grenade (Espagne) en 1539 ; il fut béatifié en 1630 et canonisé en 1690.

« Saint Jean de Dieu, en fondant l’Ordre hospitalier qui porte son nom, créa des hôpitaux modèles qui accueillaient tout le monde, indépendamment de la condition sociale ou économique. Sa célèbre expression “Faites le bien, mes frères !” devint une devise pour la charité active envers les malades », souligne le pape.

Le texte consacre une section particulière au soin des pauvres dans la vie monastique, affirmant que « pour être proche de Dieu, il faut être proche des pauvres », à l’exemple des monastères bénédictins qui furent, pendant des siècles, « des lieux de refuge pour les veuves, les enfants abandonnés, les pèlerins et les mendiants ».

« L’hospitalité monastique bénédictine reste encore aujourd’hui le signe d’une Église qui ouvre ses portes, qui accueille sans demander, qui guérit sans rien exiger en retour », écrit Léon XIV.

Le pape salue aussi le travail des religieux et religieuses présents dans les périphéries urbaines, les zones de conflit et les couloirs migratoires.

« La tradition de ces Ordres n’est pas terminée. Elle a au contraire inspiré de nouvelles formes d’action face aux esclavages modernes : la traite des êtres humains, le travail forcé, l’exploitation sexuelle, les différentes formes de dépendance », précise-t-il.

C’est pourquoi j’adresse mes sincères remerciements à tous ceux qui ont choisi de vivre parmi les pauvres : ceux qui ne se contentent pas de leur rendre visite de temps en temps, mais qui vivent avec eux et comme eux. C’est une option qui doit trouver sa place parmi les formes les plus élevées de la vie évangélique.

Dilexi Te §101

Dilexi Te est divisée en 121 points, comportant près de 60 citations de François parmi les 129 notes du texte.

Une exhortation apostolique est un document formel du pape, adressé principalement aux catholiques, mais non exclusivement, dont le but est d’orienter les destinataires sur un thème spécifique – en l’occurrence, « l’amour pour les pauvres ».