Disciples Aujourd'hui

Une bonne gestion de l’équipe pastorale

Dans son dernier ouvrage, Les 5 doigts de la pastorale, l’abbé Bernard Schubiger présente ses constats et expériences comme prêtre et curé de paroisse. En prenant comme métaphore les cinq doigts de la main, il nous propose des pistes de réflexion pour renouveler notre pastorale et la vie de nos équipes. Des suggestions à ne surtout pas appliquer comme des recettes, mais à adapter à chaque situation.

Comment est née l’idée d’écrire ce livre ?

Tout a démarré dans le cadre du Centre œcuménique de pastorale spécialisée (COEPS), lors de la présentation de la bonne gestion d’une leçon de catéchèse inspirée du livre de Nancy Gaudreau Gérer efficacement sa classe1. En écoutant cette adaptation, j’ai eu une inspiration (j’espère de l’Esprit saint) et je me suis dit qu’il fallait adapter cela pour les équipes pastorales (EP).

1. Nancy Gaudreau, Gérer efficacement sa classe, Presse de l’Université du Québec, 2018
Pourquoi avoir réalisé ce livre ? Quels sont ses objectifs ?

Le but est de donner des outils de travail et de réflexion pour les équipes pastorales. Ce n’est surtout pas un modèle à appliquer scrupuleusement ni des recettes toutes prêtes. Il s’agit de pistes pour que l’équipe pastorale puisse se prendre en charge elle-même. Je ne crois malheureusement pas beaucoup au coaching extérieur, sauf s’il est là pour renforcer les capacités de l’équipe. Il n’y a pas de canevas tout fait, les capacités de prise en charge varient d’une équipe à l’autre. C’est très important, car il y a un immense danger à avoir un modèle unique d’équipe pastorale. D’ailleurs, Arnaud Join-Lambert, dans son article sur « les différentes façons d’évangéliser » met en garde contre ce mode très hiérarchique de vouloir un seul et unique concept. Ces planifications unilatérale et unique sont malheureusement généralement l’approche des conférences épiscopales européennes. Nous avons beaucoup de peine à accepter un pluralisme d’évangélisation et de manière de faire et de vivre sa mission.

Il n’y a pas un modèle unique et une seule bonne méthode. Il convient à chaque équipe pastorale, selon ses expériences, ses convictions et ses membres de concevoir son fonctionnement et sa mission. Il est plus important de trouver le moyen adéquat pour stimuler et dynamiser ceux qui en sont les acteurs plutôt que de vouloir les formater à tout prix dans une façon qui serait soi-disant universellement approuvée et efficace.

Pour renouveler une équipe pastorale ou une paroisse, le plus important est l’expérience de l’Esprit saint.

Qu’entendez-vous par une vision renouvelée de l’Église ?

Ce premier chapitre de mon livre montre six figures de l’Église. Quatre viennent de Hans Urs von Balthasar de son ouvrage Le complexe antiromain2. Il s’agit de Pierre, Jacques, Paul et Jean. Pierre représente la hiérarchie, Jacques l’institution et l’organisation, Paul l’aspect charismatique et l’évangélisation et Jean la facette mystique et spirituelle. Mon constat est que Pierre et Jacques sont très présents dans l’Église de Suisse et en général, mais que nous oublions trop souvent Paul et Jean.

Pour renouveler une équipe pastorale ou une paroisse, le plus important est l’expérience de l’Esprit saint. Sinon nous tombons dans les décisions humaines qui ont leurs limites et qui ne sont pas forcément adaptées aux personnes ou à la situation. L’Esprit saint est celui qui nous donne ce discernement, cette dynamique et cette force pour aller de l’avant et inventer du neuf.

En plus des quatre personnages masculins de Hans Urs von Balthasar, j’ai ajouté deux figures féminines qui me paraissent importantes : Marie, figure de l’Église et Marie-Madeleine, le modèle de disciple et du discernement pour découvrir le véritable sens « d’aimer ». Ces six figures ont en arrière-fond, le tissu de médiation de Nicolas de Flüe avec les six médaillons3.

Nous pouvons mettre Marie en lien avec l’annonciation et l’Esprit saint. Paul est lié à la nativité, Pierre est rattaché à la hiérarchie et Dieu le Père avec tout ce que cela signifie. C’est une autorité qui va à l’encontre d’une domination, c’est un Père de miséricorde qui nous relève, nous pardonne et nous aime.

Jacques est associé au Christ en croix. L’immense danger de l’institution c’est d’agir, a contrario de l’esprit serviteur de Jésus, d’être écrasant et de provoquer des blessures. Au contraire, l’institution doit s’inspirer de tout le mystère de la croix et de la Passion avec tout ce que cela signifie de miséricorde. Et bien sûr Jean est rattaché à l’eucharistie, le mystère des mystères de l’Église.

Sans oublier Marie-Madeleine qui est mise en lien avec l’arrestation, car dans le médaillon du tissu de méditation de Frère Nicolas il y a tout un enjeu de découvrir les différents esprits qui sont à l’œuvre en l’homme. Il y a Pierre qui agit selon l’esprit de l’homme par ses propres forces. En sortant l’épée pour défendre Jésus, il coupe l’oreille du serviteur et commet une terrible injustice. Il y a les soldats qui, au nom de l’esprit du monde, se moquent de Jésus et lui posent une couronne d’épines. Il y a la trahison de Juda, une perversion de l’amour à travers son baiser. C’est bien sûr l’esprit du mal. Il y a aussi Jésus lui-même, l’esprit de Dieu qui vient guérir l’homme.

2. Hans-Urs von Balthasar, Le complexe antiromain: Essai sur les structures ecclésiales, Mediapaul 2005.
3. Bernard Schubiger, Le tissu de méditation de Nicolas de Flüe, une boussole pour la vie, Éditions le Parvis, 2018
Pouvez-vous nous expliquer les cinq doigts de la pastorale ?

Les cinq doigts sont simplement une manière mnémotechnique. Ils ont des significations symboliques. Nous les mettons en lien avec les cinq sens, avec les principes de base de la volonté, l’intelligence, etc.

Ces cinq doigts représentent les cinq essentiels de la vie chrétienne : la vie fraternelle, la vie de prière et de liturgie, la vie de formation, le souci de l’évangélisation et la vie de charité.

L’ordre pour les présenter dépend du point de vue où l’on se place. Si nous nous mettons à la place d’une personne qui est aux périphéries de l’Église, le premier essentiel sera l’évangélisation.

Qu’est-ce que l’évangélisation ?

L’évangélisation ne commence pas par l’annonce de Jésus-Christ, mais par l’écoute. Il faut d’abord se mettre à l’écoute des frères et sœurs pour découvrir en eux les semences d’Évangile et les rendre attentifs à la présence de Dieu dans leur vie. La première évangélisation se fait par la joie, le rire et l’humour. Ce sont les béatitudes. Il n’y a rien de pire que les visages d’enterrement que nous avons fréquemment dans nos messes. C’est repoussant !

Nous ne nous préoccupons pas assez de nourrir en profondeur les nombreux bénévoles qui sont engagés au service de l’Église.

Comment renouveler nos paroisses ?

Pour transformer nos paroisses, la vie fraternelle est primordiale et elle est trop souvent laissée de côté. La vie de prière est également très importante. Généralement, tout est centré sur la liturgie. Or l’eucharistie est le sommet, mais pour aboutir au sommet, il faut les étapes intermédiaires. J’aime donner cet exemple d’une paroisse en France qui avait lancé des dimanches en paroisse. Naturellement, le centre était l’eucharistie. Ce qui est tout à fait juste sauf que ceux qui venaient n’étaient assurément pas des gens qui avaient une pratique eucharistique. Ils se sont rendu compte qu’ils étaient à côté de la plaque, qu’ils ne touchaient pas vraiment les personnes. Ils ont changé et ils ont célébré l’eucharistie en début de journée pour les personnes qui le souhaitaient et spécialement pour les animateurs et ils ont mis au centre le témoignage, la prière, le partage, la vie fraternelle et des activités particulières pour les enfants et les jeunes.

Nous oublions souvent dans les paroisses la vie de formation. Nous ne nous préoccupons pas assez de nourrir en profondeur les nombreux bénévoles qui sont engagés au service de l’Église. Par conséquent, au bout de deux ou trois ans, ils partent.

Avec les cinq doigts de la main, nous mettons les choses en relation. La formation, la volonté et le goût sont en lien avec le pouce. L’index est relié à l’odorat, la direction et la vie fraternelle. L’équilibre, le toucher et la vie de prière sont naturellement signifiés par le majeur, le doigt le plus important.

La vue, l’amour et le service, c’est l’alliance, donc liés à l’auriculaire. Le petit doigt désigne l’évangélisation, l’ouïe et la communication.

Si le petit doigt représente l’évangélisation, ce n’est pas parce que c’est le plus petit, mais bien parce qu’il faut avoir mis en œuvre les quatre autres avant de pouvoir faire une évangélisation qui a du sens.

Comment vivre les cinq essentiels dans une équipe pastorale ?

La base est que l’équipe pastorale choisisse sciemment d’invoquer l’Esprit saint pour être renouvelée. Pour bien diriger une équipe pastorale, je reprends le schéma des cinq doigts de la main de Nancy Gaudreau. Le pouce sur lequel on peut s’appuyer, c’est gérer les ressources. La plupart du temps dans nos équipes pastorales nous ne nous connaissons pas vraiment en profondeur. Les ressources c’est savoir les qualités et les charismes de chacun. Dans nos équipes pastorales, il y a de plus en plus de choses qui nous différencient plutôt que d’éléments qui nous sont spontanément semblables. Nos cultures sont une richesse.

L’index est ce qui se montre, ce qui est visible, c’est-à-dire notre ministère. Bien organiser notre ministère est certes important, mais la prière fait également partie de notre mission. Nous ne pouvons pas séparer le ministère de la vie spirituelle. Il est essentiel d’avoir une manière de vivre la spiritualité en équipe pastorale, la prière régulière, une journée de retraite ou de récollection… Nous pouvons avoir une diversité dans la prière, il ne faut pas faire tout le temps la même chose année après année.

Les valeurs de l’équipe sont représentées par le majeur. C’est la façon dont nous vivons la charité et l’amour au sein de l’équipe pastorale. C’est la charte d’équipe dans laquelle nous mettons par écrit ce que nous voulons promouvoir dans l’équipe. Il faut avouer que nous pouvons passablement nous tirer dans les jambes  consciemment ou inconsciemment. Par exemple : un truc tout simple, décider qu’aucun mail ne sert à régler des dissensions. Un mail doit être court et purement informatif. Dès qu’il y a des problèmes, comme le dit l’Évangile, nous allons d’abord trouver la personne concernée. Si cela ne suffit pas, on va vers le curé modérateur et puis si vraiment cela est nécessaire, on le soumet à l’équipe.

Ensuite il y a l’annulaire, la vision de l’équipe pastorale. Comment voyons-nous l’équipe pastorale, la/les paroisses et l’Église à moyen et à long terme. Au sein des équipes pastorales, nous nous contentons trop souvent de faire ce que nous avons toujours fait en essayant de faire un peu mieux, mais nous n’avons pas de perspectives qui donnent l’envie de faire autrement.

Le petit doigt indique les nouveaux projets, parce qu’il faut avoir mis en place tout le reste pour développer de nouveaux projets.

Votre ouvrage propose également toute une série d’annexes qui présentent des pistes de réflexion.

Oui effectivement, mais il ne faut surtout pas imiter ces suggestions, il faut les adapter. Il n’y a rien de pire qu’une équipe pastorale qui voudrait être une photocopie de je ne sais quel idéal. Il faut être soi-même. Carlo Acutis disait : « Ne soit pas une photocopie, soit toi-même ». Chaque équipe pastorale va être différente et tant mieux. Il n’y a pas besoin que toutes les unités pastorales soient organisées et composées de façon identique. Dans ce sens-là, j’avoue que je me méfie des orientations pastorales. Si ces orientations sont accueillies simplement comme une piste pour être inventif sur le plan local c’est bien. Mais si c’est pour nous formater afin que chacun fasse la même chose c’est une catastrophe. Arnaud Join-Lambert le décrit bien : c’est cette volonté constante d’orienter qui vient d’en haut à tous les niveaux, c’est-à-dire des personnes qui sont au-dessus, comme l’évêque ou ses représentants. Cela peut-être aussi dans une équipe pastorale le curé modérateur qui dicte ses choix ou ses manières de faire.

Alors qu’il faudrait plutôt que par en haut, on dynamise, on encourage et que l’on donne les moyens d’être créatif. Il faut à tout niveau savoir se mettre à l’écoute et expliquer. C’est plus exigeant, mais plus porteur et stimulant.

Pour aller plus loin, le site de l’abbé Bernard Schubiger : frangelico.ch

Propos recueillis par Véronique Benz

Bernard Schubiger, Les 5 doigts de la pastorale… et de la bonne gestion d’une équipe pastorale, Collection Perspectives pastorales n°17, Editions Saint-Augustin, 2022.

Bernard Schubiger a fait ses études de théologie à la fois à l’Université de Fribourg (Suisse) et à l’Institut d’études théologiques (IET) à Bruxelles (Belgique), où il a été formé à la lecture des quatre sens de l’Écriture. Durant ses trente-cinq années en paroisse dans le diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg (LGF), il a toujours exercé son ministère en collaboration avec d’autres prêtres, théologiens et assistants pastoraux, dans diverses équipes pastorales. Prêtre diocésain, il est actuellement actif au Service formations de la Région diocésaine Fribourg francophone et dans l’aumônerie pour les personnes en situation de handicap (COEPS).