Dans les paroisses

« J’ai senti l’appel du Seigneur à faire partie de la solution »

Comment qualifier un abus au sein de l’Église ? Comment le détecter et surtout comment le prévenir ? « Quand on traite l’autre comme un objet, que l’on ne voit plus en quoi consiste l’appel au service du Seigneur, que l’on oublie qu’il est enfant de Dieu, alors on peut parler d’abus et on parle du mauvais usage du don de Dieu à son profit personnel » explique Mari Carmen Avila, représentante de l’évêque pour la prévention depuis le mois de novembre 2022.

Sur les 370 prêtres et diacres que compte le diocèse, 36 cas problématiques ont été soulevés depuis ces dernières décennies. On dénombre à ce jour 200 victimes. Douze prêtres ont été sanctionnés par des mesures canoniques et depuis les années 2 000, une dizaine de prêtres ont fait l’objet d’une enquête. C’est dire toute l’importance de ce changement de culture dans l’Église, que prône Madame Avila.

Cette laïque consacrée de 63 ans connaît bien le phénomène des abus dans l’Église. De nationalité espagnole, née au Mexique, elle a prononcé ses voeux dans la Société de vie apostolique des consacrées de Regnum Christi, une branche de la famille spirituelle des Légionnaires du Christ. Un mouvement dont le fondateur avait une double vie et qui a eu des agissements criminels en se rendant coupable d’abus systématiques.

Mais l’abus sexuel dont on parle tant n’est que la pointe de l’iceberg. Il y a des abus d’autorité, des abus de pouvoir ou encore des abus spirituels. Et ce sont ceux-ci qui souvent mènent à des abus sexuels.

L’abus d’autorité émane souvent de personnalités charismatiques avec une incontestable autorité naturelle. Des personnes qui peuvent mener l’autre vers le bien par leurs qualités ou leur état de vie. La déviance s’installe quand cette personne travaille pour elle-même et n’est plus au service de l’autre.

Le pouvoir est donné à des personnes pour faire changer les choses, pour les améliorer pour le bien commun. Ce pouvoir peut être enlevé à la personne, il est donc octroyé pour une durée limitée. De nouveau l’abus vient quand le pouvoir n’est plus au service de la communauté, mais utilisé pour soi-même.

Il est nécessaire de reconnaître nos faiblesses, de les accepter pour pouvoir les surmonter, sinon l’ennemi vient derrière vous et vous poignarde.

Quant à l’abus spirituel, il est lié à un abus d’autorité. Il prend toute sa dimension négative quand la personne rentre dans l’intimité de Dieu de la victime, prend la place de Dieu et dirige la personne vers une aliénation et non pas vers la plénitude de sa vocation.

Enfin, les abus sexuels relèvent parfois de pulsions, mais également bien souvent du besoin de contrôler l’autre. On voit donc que la prévention consiste à analyser et à résoudre des problèmes à la base et pas uniquement à lutter contre les conséquences de ces abus.

Les problèmes

Mais quels sont alors ces problèmes ? « On a tous une histoire derrière nous et on avance avec nos blessures » explique Mari Carmen Avila. Parmi ces problèmes, il y a l’orgueil qui conduit à ne pas montrer ou avouer, ou s’avouer ses faiblesses. Comment combler, par exemple, le besoin de reconnaissance dans la charge d’un prêtre ? Comment faire face à la solitude s’il y a souvent un refus de la vie fraternelle et si l’on encourage le besoin de s’isoler ? Ou encore le sentiment d’avoir été placé sur un piédestal, de devoir être un modèle, le sel de la terre, de faire partie d’une élite.

Tout cela devient un poids lourd à porter par le prêtre. Comment venir à l’encontre de l’intolérance, quand la personne qui sait avoir des pulsions homosexuelles va combattre avec force l’homosexualité dans la société. « Il est nécessaire de reconnaître nos faiblesses, de les accepter pour pouvoir les surmonter, sinon l’ennemi vient derrière vous et vous poignarde » illustre Mari Carmen Avila. Et tout agent pastoral doit être conscient de porter un trésor dans l’argile de son humanité.

Il s’agit donc de revenir à une Église plus simple, plus humble, plus évangélique, sous peine de la voir imploser sous les problèmes et les critiques.

Mari Carmen Avila, représentante de l’évêque pour la prévention

Jésus n’a pas voulu de prêtres parfaits qui gouvernent tout et qui sachent tout faire. Car il y a des prêtres qui se sentent investis d’un pouvoir qui ne relève pas forcément de la vocation à suivre le Christ, mais plutôt du besoin de gérer l’administration de la paroisse. La variété des capacités requises pour tout faire se trouve difficilement en une seule personne. Le pouvoir de gouverner d’un prêtre est le pouvoir de servir l’autre, pas soi-même. La chargée de prévention prône par conséquent un changement de culture dans l’Église.

Trois axes

Ce changement peut se décliner sur trois axes. Tout d’abord, il y a une mauvaise compréhension du secret d’office qui conduit à dissimuler les problèmes sous prétexte de protéger l’image de l’Église ou les personnes. Or nous sommes une Église de pécheurs et la transparence est indispensable. L’Église parfaite, où tout se passe bien, n’est pas la nôtre.

Ensuite, il y a la peur du scandale, une peur que l’on combat en reconnaissant nos fautes avec humilité. Car le scandale le plus grand est de détruire la vie des petits.

Enfin, il y a une compréhension imparfaite de l’origine divine et humaine de l’Église, et de la manière dont les deux interagissent. Si Jésus est mort sur la croix pour notre rédemption c’est que nous ne sommes pas parfaits. L’Église a été construite par des hommes et des femmes durant deux millénaires. Elle a changé, oubliant parfois l’essentiel, sa vraie raison d’être. Par exemple, au sein des premières communautés, les femmes avaient plus de pouvoir et soutenaient la communauté. Un changement que Madame Avila résume par « il nous faut être icône du Christ et non pas idole voleurs de la divinité ».

Il s’agit donc de revenir à une Église plus simple, plus humble, plus évangélique, sous peine de la voir imploser sous les problèmes et les critiques. Demander pardon pour les fautes du passé n’est pas suffisant. « J’ai senti l’appel du Seigneur à faire partie de la solution » précise la chargée de prévention. Ces changements, Mari Carmen Avila les prône sous forme de formation commune des agents pastoraux pour le discernement des situations, l’information et l’action comme les processus d’engagement et de nominations des agents pastoraux, clercs et laïcs, ou encore le code de conduite. Un travail de tous, fait dans un esprit résolument positif qui s’appuie sur l’espérance. « Car, en effet, être consacré, c’est un appel à être heureux, un épanouissement et pas une contrainte quotidienne ou un fardeau difficile à porter » ajoute Mari Carmen Avila.

PAR JEAN-MARIE MONNERAT | PHOTOS : DR, FLICKR
L’Essentiel des paroisses du décanat de Fribourg – janvier-février 2024